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Crise environnementale : Peut-on encore préserver les écosystèmes ?
Abstract
Crise environnementale : Peut-on encore préserver les écosystèmes ? : rencontre du cycle "Agir en temps de crise - Les grandes crises contemporaines" organisée et animée par Séverine Mathieu, directrice d’études à l’EPHE-PSL, et Saadi Lahlou, directeur de l’IEA de Paris

Cette dernière rencontre du cycle "Agir en temps de crise" de la saison 2021 propose de repenser la relation homme-nature, et l’équilibre du système.

Pollution, déplacement d’espèces qui peuvent devenir invasives, occupation outrancière des espaces, surexploitation des ressources, changement climatique… sont autant de facteurs qui affectent la biosphère.

Il nous faut urgemment repenser la relation homme-nature, et l’équilibre du système. Comment comprendre et mesurer les phénomènes environnementaux que nous vivons ? Qu’est ce qui caractérise la crise actuelle ? Que nous ont enseigné les crises précédentes ?

Agir en temps de crise - Peut-on encore préserver les écosystèmes ?

Synthèse de la rencontre

Enseignements et pistes d'action

  • En France, contrairement à d’autres pays, il n’y a plus de réelle controverse sur la réalité du changement climatique. Le scepticisme porte sur l’urgence à prendre des mesures (le GIEC indique que nous avons 10 ans pour agir).
  • Pour le moment, nous faisons surtout face à une diminution d’abondance au sein des espèces plutôt qu’à des extinctions. Ce n’est pas pour autant rassurant : la trajectoire fût la même lors des précédentes crises géologiques et nous allons 1000 fois plus vite.
  • Le vivant ne se gère pas. Une fois certains seuils de survie des espèces passés, il n’y a pas de retour en arrière. Or, nous ne savons pas où se trouvent ces seuils. Il faut être modeste face à la complexité du vivant et mieux protéger la biodiversité ordinaire.
  • Compte tenu des limites des ressources planétaires, la croissance économique ne peut plus être le référent unique. La pandémie pourrait susciter une réflexion quant à notre système de valeurs collectif, dans un contexte de capacité d’agir réaffirmée des gouvernements.
  • Dans le secteur agricole, agir avec la nature est plus efficace qu’agir contre elle. Ce modèle productif alternatif contribue au changement de référentiel qui favorise le revenu agricole plutôt que le volume de production.
  • Les secteurs industriels qui ne préparent pas leur transformation sont plus vulnérables. Il faut organiser la transition, prévoir le redéploiement des compétences (voir les suggestions de Supaero Décarbos et du Shift Project).
  • Deux leviers pourraient prendre du poids dans la lutte contre le changement climatique : la justice, via le risque de sanctions lorsque l’environnement est détérioré, et les études sur les impacts des changements climatiques sur la santé.

Décryptage

Une 6e crise de la biodiversité

La moitié des moineaux a disparu de Paris. On s’en rend difficilement compte : des cadavres d’oiseaux ne jonchent pas les rues. Il s’agit de déclins d’abondance. Lors des cinq crises majeures qui ont eu lieu au cours de l’histoire de la Terre, aucune n’a été une hécatombe. Elles ont été caractérisées par un déclin progressif du succès reproducteur lié à divers facteurs (volcanisme, météorites, géographie des continents, etc.). De génération en génération, il y a eu de moins en moins d’individus (ça a été le cas avec les dinosaures par exemple). Aujourd’hui, on observe une diminution des abondances des oiseaux, des insectes, et de certains mammifères du fait de cinq grands facteurs : pollution, déplacement d’espèces potentiellement invasives, occupation outrancière des espaces, surexploitation des ressources, et changement climatique. Nous sommes sur le même type de trajectoire que lors des grandes crises du passé géologique de la Terre. Il y a eu 80 % d’extinction d’espèces au pic de celles-ci. Nous en sommes loin, il y a encore «peu» d’extinctions (environ 10 %), mais en nombre d’individus au sein des espèces, le déclin est vertigineux : en Europe en une trentaine d’années - 75 % sur des populations d’insectes, - 40% sur les oiseaux des plaines agricoles. Dans les eaux anglaises, il y a moins de poissons : le rendement de la pêche a été divisé par 17 en 120 ans. Au niveau mondial, 500 000 à un million d’espèces pourraient disparaître (IPBES). Nous sommes seulement au début d’une sixième crise de la biodiversité, mais nous y progressons très, très vite : 100 à 1000 fois plus vite que lors des précédentes crises du passé géologique.

En France, le combat porte sur la reconnaissance de l’urgence

Sont admis les changements climatiques ou la perte de biodiversité, mais ni leur vitesse inouïe ni le rapport au temps qui en découle. Le constat est relativisé. Le combat porte sur la reconnaissance de l’urgence car la réponse politique est aujourd’hui une gouvernance par objectifs lointains. La biodiversité a une capacité de réaction : tant qu’on n’a pas dépassé un certain seuil, il peut y avoir des retours à l’équilibre (cf. le moratoire sur le thon rouge en Méditerranée), mais cette capacité de résilience disparaîtra bientôt. Des changements radicaux sont à opérer avant 2030 selon le GIEC. Or, la pandémie de Covid montre que la capacité d’agir des gouvernements existe. Avant cette crise, elle était sérieusement mise en doute. La lutte contre le changement climatique est une question de choix politiques, de mise en œuvre et non d’impuissance : on connaît les causes et les solutions, on sait sur quoi il faut agir.

Mieux protéger la biodiversité ordinaire

L’une des principales causes de régression de la biodiversité en France métropolitaine est la perte des habitats et leur altération. La directive « espèces protégées » protège uniquement les espèces patrimoniales et les politiques publiques de protection de la biodiversité se limitent à une politique des espaces protégés : les parcs nationaux, les parcs naturels régionaux, etc. Préserver des îlots de biodiversité est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant, cela ne protège pas la biodiversité ordinaire. Cela inquiète la communauté scientifique internationale en raison du rôle primordial des insectes dans les écosystèmes. On a du mal à déclencher un mouvement de sympathie pour les insectes, comme on en a à l’égard des éléphants ou des ours blancs (quelques tentatives avec les abeilles et les papillons). Il faudrait arrêter l’artificialisation des sols, valoriser les friches et réparer les espaces déjà artificialisés laissés en déshérence.

Les freins au changement

Cela ne fait qu’une quarantaine d’années que des protocoles d’observation strictement identiques sont appliqués sur des espèces assez communes. Avant, les mesures disparates ne permettaient pas d’observer des trajectoires. A l’échelle de l’histoire de l’humanité, cela fait peu de temps. La culture institutionnelle est peu propice à la prise en compte de ces enjeux. Elle baigne encore dans l’imaginaire d’une construction de la civilisation comme s’arrachant à la nature, dans l’illusion de la technologie comme solution à tous les maux. Les technophiles qui prétendent qu’il sera possible de gérer la biodiversité se méprennent. Le vivant ne se gère pas. Les écosystèmes sont très complexes. On est face à des effets de seuil non prévisibles. C’est un saut dans l’inconnu : on sait qu’il va y avoir des effets de seuil, mais on ne sait pas quand ils vont se produire ni quelle sera leur ampleur. Beaucoup d’agriculteurs sont proches de la retraite et ne souhaitent pas changer de modèle agronomique dix ans avant d’arrêter d’accompagnement, financier notamment (aides de court terme ou destinées aux jeunes exploitants uniquement). Les enjeux écologiques sont souvent perçus par les gouvernements comme un secteur parmi d’autres. De surcroît, l’échelle de temps d’un gouvernement n’est pas celle du changement climatique. Avec le COVID-19, l’urgence est immédiatement visible, des mesures impopulaires sont donc prises. Enfin, une dimension émotionnelle entre en jeu : l’éco-anxiété, l’angoisse existentielle liée aux changements climatiques entraîne des mécanismes de déni. Face à la crise, les réactions sont la fuite, la sidération ou le combat.

Les leviers d’action

Une mobilisation de la société civile est indispensable pour pousser dans le sens d’un changement des politiques publiques locales, nationales, européennes et mondiales. Les études sur les impacts des changements climatiques sur la santé sont un outil dont il faut se saisir. Les brèches qui s’ouvrent sur le plan judiciaire participeront également au changement : il y a de plus en plus de condamnations en France et à l’international, concernant des destructions d’écosystèmes. Les entreprises savent qu’elles peuvent être confrontées à un préjudice d’image et à des sanctions judiciaires. Anticiper les transformations est primordial : L’industrie aéronautique est la première filière d’exportation en France. Ne pas organiser la transition nous expose à une vulnérabilité importante. Le collectif « Supaero Décarbos », composé d’ingénieurs de cette industrie propose un plan de transformation pour redéployer ces emplois dans des nouveaux secteurs. Autre exemple : la France n’a pas d’industrie du vélo, mais certaines collectivités investissent pour développer des pôles industriels, des formations.

Evolution culturelle et changement du modèle socio-économique

Les jeunes générations mettent davantage en avant des valeurs non-marchandes. En France, il y a une demande de reconquête de la souveraineté alimentaire. Selon la FAO, il est possible de nourrir la totalité de la population humaine avec de l’agriculture biologique si on fait évoluer le rapport entre protéines animales et végétales dans nos régimes alimentaires. Dans les cantines scolaires, en France, 60 % de la viande est importée. Si on arrête de mettre de la viande à tous les repas, on peut mettre le prix pour avoir de la viande d’élevage français. Cela s’inscrit dans la perspective d’un basculement vers un modèle dans lequel la référence n’est plus en volume de produits, mais en revenu agricole. Les intérêts en la matière tendent à converger : dans les débats sur la loi Climat, il y a eu une prise de position commune entre Interbev, qui défend la filière bovine française, et des ONG écologistes.

6/9/2021