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Histoire des pandémies - Peut-on apprendre des pandémies du passé ?
Abstract
Histoire des pandémies - Peut-on apprendre des pandémies du passé ? : rencontre du cycle "Agir en temps de crise - Les grandes crises contemporaines" organisée et animée par Séverine Mathieu, directrice d’études à l’EPHE-PSL, et Saadi Lahlou, directeur de l’IEA de Paris.

Cette 4ème rencontre du cycle "Agir en temps de crise" propose de revenir sur l'histoire des pandémies avec un historien et un spécialiste de la Biologie Intégrative des Populations.

Nos sociétés occidentales ont eu beaucoup de mal à s’adapter au fléau sanitaire qui nous touche aujourd’hui. Quelles leçons tirer des expériences passées ? Comment l’expérience des pandémies passées modifie-t-elle les approches, du point de vue social, politique, scientifique, ou encore du point de vue des pratiques médicales ?

Agir en temps de crise - Peut-on apprendre des pandémies du passé ?

Enseignements et pistes d'action

  • L’humanité vit pour la première fois une pandémie en ayant une compréhension et une analyse immédiate. Il se pourrait toutefois que nous soyons myopes quant aux raisons profondes de celle-ci (bouleversements écosystémiques causés par l’Homme)
  • Tenter d’apprendre des pandémies du passé pour tirer des stratégies contemporaines peut mener à un mimétisme contre-productif : beaucoup a changé d’un point de vue médical et sociétal. Le risque est de s’emprisonner dans un scénario construit par avance et de se condamner à penser en retard.
  • Les médias relaient les publications scientifiques sans les hiérarchiser selon leur rigueur, et les chercheurs interviewés sont sélectionnés pour leurs qualités de communicants. Ce vernis scientifique à des théories peu solides influence l’évolution de la pandémie.
  • La pandémie de COVID-19 a vu se renforcer une bio légitimité de principe. Le fait qu’il y ait des morts n’est plus accepté socialement, en théorie. En pratique, il existe toujours des mortalités auxquelles on consent (celle des milieux populaires par exemple).
  • L’éparpillement des financements et des institutions restreint le potentiel de la recherche contre les pandémies. Il faut une structure centrale, permanente, dédiée à l’infectiologie et au séquençage, et une stabilité des budgets dans la recherche fondamentale.

Décryptage

Une métaphore obsédante entre la guerre et l’épidémie

On vit l’épidémie actuelle avec la représentation des épidémies précédentes. Or, le rapport entre le contrôle biologique et la guerre est très ancien et solide dans l’Histoire. La métaphore martiale de la révolution pasteurienne a notamment été fondamentale au XIXe siècle. Auparavant, la lèpre a été la maladie de l’exclusion, la peste celle du contrôle — elle a défini des sociétés de contrôle panoptique. Dans La Peste, Camus montre que l’épidémie est une guerre d’occupation, celle du corps occupé par le monde viral ou microbien. Mais elle se révèle aussi guerre du langage : on se met à parler le langage du pouvoir (« ennemi », « première ligne », etc.)

La réticence des spécialistes des épidémies anciennes à conseiller

Dans L’Étrange défaite, Marc Bloch souligne qu’on a toujours tendance à répéter la guerre d’avant et qu’en croyant qu’il y a des leçons de l’Histoire, on se condamne à penser en retard. Il en va de même avec les épidémies. Les premiers protocoles COVID-19 étaient fondés sur l’expérience du SRAS, pour lequel il y avait très peu de cas asymptomatiques. Se baser sur le passé peut mobiliser les forces, mais il ne faut pas être prisonnier d’un scénario construit par avance, et répliquer des dispositifs inadéquats. Les connaissances scientifiques et donc la compréhension des pandémies et les moyens de lutter contre celles-ci évoluent. Il y a eu des sauts quantiques dans la recherche fondamentale : l’analyse de métadonnées par intelligence artificielle ou le séquençage du génome entier.

Les épidémies ne disparaissent pas

La volonté d’éradiquer des bactéries ou des virus pathogènes se fonde sur une vision anthropocentrique illusoire. À part la variole, il y a très peu de maladies infectieuses éliminées. Aujourd’hui, les chiens de prairie en Amérique du Nord, les marmottes en Mongolie ou les rats de Madagascar sont truffés de Yersinia pestis, la bactérie responsable de la peste. Elle resurgit de temps en temps, au rythme des piqûres de puces sur un hôte accidentel : l’Homme. Les facteurs d’évolution d’une épidémie sont une matrice d’informations énormes : climatiques, environnementaux, saisonniers, comportementaux, économiques, politiques. La fin d’une épidémie ne peut être prévue.

Une compréhension instantanée inédite, mais partielle

Nous vivons aujourd’hui une pandémie avec la capacité de la comprendre. Tout arrive en accéléré : les connaissances scientifiques, le débat démocratique et la contestation politique. C’est inédit. Les pandémies du passé n’étaient pas compréhensibles dans leurs réalités biologiques ou épidémiologiques par leurs contemporains. Tout s’opposait par exemple à l’idée d’une contagion par contact dans la médecine ancienne et médiévale. On saisit désormais la nature biologique de la pandémie, mais quid des autres facteurs ? Dans 30 ans, on estimera peut-être qu’on était resté myope sur ce qu’était une épidémie et qu’on n’avait pas compris que les bouleversements écosystémiques causés par l’homme étaient les causes véritables. Des concentrations de populations favorables à l’expansion des virus ont été créées, tout en réduisant le territoire naturel des virus : on a ouvert un champ propice à l’envahissement des populations humaines. Les ruptures de barrières écologiques jouent un rôle essentiel dans l’émergence des zoonoses. Quant au réchauffement climatique, il pourrait faire resurgir des pathogènes anciens avec la fonte du permafrost.

Sauver « toutes » les vies ?

Par rapport au passé, la principale rupture dans la gestion de la pandémie est ce que l’anthropologue Didier Fassin appelle la biolégitimité : aujourd’hui, pour un gouvernement démocrate, il est nécessaire d’affirmer la valeur inconditionnelle de toute vie. Cela change radicalement le mode de calcul de la santé publique. Depuis les années 2000 (épidémies de SRAS et H1N1), il paraît évident aux gouvernements démocrates que tout doit être fait pour sauver toutes les vies possibles, quoi qu’il en coûte. En 1969, face à la grippe de Hong Kong, il paraissait évident aux mêmes gouvernements qu’il fallait « laisser passer ». Le concept de biolégitimité, de non acceptabilité de la mort est proclamé, mais ce n’est qu’une rupture théorique : il n’est jamais réellement appliqué. Les sociétés ont les mortalités auxquelles elles consentent (personnes âgées, travailleurs de première ligne, classes populaires…). La pandémie actuelle implique le tri des patients, explicite en Italie, discuté dans l’opinion publique aux États-Unis, à peine évoqué ou même nié en France. Pourtant, les épidémies sont des moments où l’inégalité est particulièrement observée. Dans les années 1830, le choléra précipita un débat public — en France, le gouvernement de la Monarchie de Juillet fut mis en accusation car la maladie touchait principalement les pauvres. Lors des crises, l’attention est portée sur la décision politique et sa justification, ce qui met en lumière le système de valeurs à l’œuvre. Les crises sanitaires se doublent souvent d’une crise politique, contrairement aux guerres qui sont plutôt des moments de renforcement du pouvoir.

Une démocratisation de l’information scientifique sans critères de rigueur

La vitesse de propagation de l’information et l’accès gratuit aux publications scientifiques (comme wprn.org) sont des phénomènes nouveaux dans le cadre d’une pandémie. Il s’agit d’une énorme avancée pour les chercheurs. Néanmoins, des papiers non validés par des pairs sont publiés. Or, les journalistes lisent désormais ces articles et les relaient indépendamment de leur rigueur ou de leur pertinence statistique. La hiérarchie ne se fait pas sur des critères de qualité scientifique : si quelqu’un communique beaucoup et bien, il est considéré pertinent. À l’inverse, d’excellents professeurs au discours modéré et humble ne sont pas relayés dans les médias car ils ne se révèlent pas bons orateurs. La question de la communication scientifique est devant nous.

Opter pour un système d’institutions restreint, cohérent et pérenne

Les pays très performants regroupent les meilleurs scientifiques et industriels dans une poignée d’institutions. Le saupoudrage des compétences et des budgets entre multiples structures complique l’harmonisation des protocoles sanitaires, la distribution de l’information et la puissance de feu de la recherche. C’est le cas notamment en France où l’on a beaucoup de centres de référence, avec des intérêts parfois antagonistes (ministère de la Santé, Conseil scientifique, Haute Autorité de santé, direction générale de la santé, direction générale de l’offre de soin, agences régionales de santé, Institut de la veille sanitaire, etc.). De surcroît, on tend à y créer une structure ou une commission ad hoc à chaque nouvelle crise. Les modèles qui fonctionnent le mieux sont ceux avec des institutions pérennes, qui ne disparaissent pas une fois la crise passée. Le modèle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies est sans doute à suivre.

Bibliography
Wirth, T. (2020). Aux origines du Covid. ÉPHÉMÉRIDE, Le Magazine de l’École Pratique Des Hautes Études - Numéro Spécial Covid-19, 14, 22–25. https://www.academia.edu/43696442/LA_FI%C3%88VRE_DES_DIEUX_Divinit%C3%A9s_maladies_et_r%C3%A9actions_%C3%A9motionnelles
4/14/2021