Les deux tempêtes extrêmement puissantes qui ont touché sur plusieurs jours consécutifs la France fin décembre 1999, ont causé la mort d’une centaine de personnes et plusieurs milliards de dollars de dommages matériels. Ce sont 1,4 millions de foyers qui furent coupés d’électricité et de chauffage. Des mesures d’urgence inédites ont dû être adoptées : coordination des services publics, mobilisation de personnel retraités, organisation des populations sinistrées. Au-delà, l’expérience de cette crise a permis au réseau électrique français, en concertation avec les décideurs politiques, de mettre en place de bonnes pratiques et de gagner en réactivité, avec la création de brigades d’intervention rapide, mais aussi de nouveaux efforts de prévision ou l’enfouissement des lignes. Aujourd’hui, face à la recrudescence d’épisodes extrêmes que laisse craindre le dérèglement climatique, sommes-nous prêts à affronter des situations similaires ?
Synthèse de la rencontre
Les temps forts de la rencontre
« Aucun État-nation n’aura les moyens de faire face aux catastrophes qui nous attendent. C’est à l’échelle locale qu’il faut penser les réponses. » Saadi Lahlou
« La gestion de crise ne fonctionne que lorsqu’on s'entraîne très régulièrement » Claude Jeandron
Qu'a-t-on appris de cette crise ?
Les États-nations ne pourront pas faire face
Des crises de plus en plus globalisées, violentes, avec effet domino nous attendent. Quels que soient les systèmes mis en place, ce qu’on a préparé sera insuffisant (par définition, la crise est un débordement des systèmes). Dans la culture française, la sortie de crise est le travail de l’État. On attend qu’on vienne nous secourir. Mais aucun service public ne sera en mesure d’apporter une réponse suffisante aux crises à venir. Aucun gouvernement n’aura les moyens de gérer des problèmes de cette ampleur et à cette fréquence. Il faut en prendre conscience, car la capacité de secours demandée au système est totalement démesurée. Les populations devront avoir de l’initiative.
Les humains : de mauvais éléments en temps crise
Lorsqu’un humain est soumis au stress et qu’il ne peut pas fuir, sa première réaction est souvent d’agresser les autres pour décharger son anxiété. Si on laisse les humains opérer naturellement lors d’une crise, la situation a de grandes chances de s’aggraver, car des conflits émergent. Il faut préparer les populations pour éviter cela. Ce qui provoque les effondrements de société est toujours humain.
Faire des populations une ressource plutôt qu’un facteur « aggravant »
Se mettre en mode résolution de problème n’est pas spontané pour un humain (le réflexe pour un primate est la fuite, l’agression ou, à défaut, l’inhibition de l’action, donc l’anxiété). L’inventivité et l’énergie présentes en situation de stress peuvent toutefois être ré orientées au profit de la résolution du problème. Pour cela, il faut préparer les populations à cette idée et leur permettre d’agir localement. L’action collective permettra de lutter contre l'anxiété et l'agressivité. En outre, le fait que les populations ne paniquent pas et se prennent en charge diminue la charge de travail laissée aux services publics.
La réponse est au niveau local
Dans le brouillard de la crise, il est difficile d’y voir clair à grande échelle. Mais au niveau local, on perçoit généralement bien ce qu’il faut faire. Il faut organiser la subsidiarité pour que les citoyens aient des moyens d’action rapprochée, localement. Le lendemain du passage du cyclone Haiyan (le plus grand cyclone jamais enregistré dans l’histoire), aux Philippines, les habitants coupaient eux-mêmes les arbres qui étaient tombés. Le 3e jour, les commerces avaient rouvert. Ils se sont organisés localement, sans attendre l’aide de l’État. Il va falloir suivre cet exemple en Occident.
Comment préparer les populations ?
La résilience se prépare d’abord en développant la sociabilité locale. Si le lien social et l’entraide sont déjà présents avant la crise, ils sont aisés à mobiliser lorsqu’on en a besoin. Lors du tsunami au Japon, les communes où la sociabilité était la plus développée (fêtes, évènements collectifs) sont celles qui ont eu le moins de victimes. Il faut multiplier les occasions festives de créer du lien social, inciter les populations à s’impliquer dans la vie locale, et les habituer peu à peu à la résolution de problèmes à cette échelle (qu’est-ce que je peux faire pour améliorer le voisinage ? Pour régler un problème dans ma rue ?) Il faut par ailleurs habituer les populations à vivre avec le risque, les impliquer dans la préparation de la gestion de crise, les sensibiliser pour qu’ils soient attentifs et prêts à agir si besoin. Une inspiration peut être trouvée dans la façon dont le Japon prépare sa population aux séismes.
Les secrets d’une cellule de crise efficace
La gestion opérationnelle ne doit pas phagocyter toute l’attention de la direction. Ses équipes ne doivent pas être dans le même lieu que la cellule stratégique pour éviter une influence prépondérante du prisme opérationnel. Il faut également une équipe dédiée à la prise en charge des familles des personnes travaillant dans les cellules de crise (elles ne doivent pas être préoccupées par ce qui se passe chez elles). Enfin, une équipe d’écoute/prévention est essentielle. Celle-ci ne prend pas de décisions : elle réfléchit, anticipe, se demande ce qui pourrait encore aggraver la situation. Hors des moments de crise, elle travaille sur le « Build back better » : préparer la reconstruction, en mieux, même si rien n’est encore détruit. Ces cellules doivent s'entraîner très régulièrement. Il faut que les protagonistes se connaissent et sachent comment se parler. Lorsqu’on est préparé, on est moins anxieux et plus libre pour réfléchir au moment de la crise.
L’optimisation des systèmes ne peut plus se faire en vase clos
Presque tous nos systèmes sont optimisés indépendamment les uns des autres, pour un nombre d’usagers moyen. Un système optimisé est au bord de la rupture en permanence. Par effet domino, si quelque chose dysfonctionne, les usagers se reportent sur une autre infrastructure qui sature à son tour. L’État doit s’assurer que les infrastructures dialoguent pour ne plus être optimisées au maximum indépendamment les unes des autres.
L’art de la communication
Trois règles : réagir immédiatement, dire la vérité, assumer ses erreurs. Si l’une d’entre elles n’est pas respectée, la confiance ne sera pas établie, au détriment de l’efficacité de la communication et des actions. Il faut en outre prendre en compte un biais psychologique fondamental : celui dit « de l’attribution ». On tend toujours à attribuer la responsabilité à quelqu’un, plutôt qu’aux circonstances. Le public cherche promptement des boucs émissaires. Ce phénomène s’additionne au fait que les médias, travaillant sur un marché de l’attention, vont s’intéresser davantage aux informations anxiogènes, dans le but de capter l’attention. Cela tend à aggraver la crise, et à présenter la situation comme plus dramatique qu’elle ne l’est, ce qui peut engendrer un cycle de panique. Il faut donc essayer d’orienter la communication vers la résolution du problème.