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Crise migratoire - Du global au local, quelles politiques migratoires ?
Abstract
Du global au local, quelles politiques migratoires ? : rencontre du cycle "Agir en temps de crise - Les grandes crises contemporaines" organisée et animée par Séverine Mathieu, directrice d’études à l’EPHE-PSL, et Saadi Lahlou, directeur de l’IEA de Paris.

La 3ème rencontre du cycle "Agir en temps de crise" s’intéresse aux politiques migratoires et en particulier aux impacts du changement climatique sur les déplacements de population, l'intégration dans les pays d’accueil et concentration géographique des arrivants, les difficultés de mise en place de l’apprentissage des langues.

Agir en temps de crise - Du global au local, quelles politiques migratoires ?

Enseignements et pistes d'action

  • Les données actuelles ne laissent pas penser que le changement climatique suscitera nécessairement un afflux de migrants vers l’Europe.
  • L’immigration ne crée pas de problèmes ex-nihilo. Elle rend seulement perceptibles des dysfonctionnements déjà présents au sein de ma société française.
  • Les mécanismes d’intégration se sont grippés et fonctionnent au ralenti. C’est sur eux qu’il faut œuvrer.
  • Revoir la distribution géographique des migrants, miser sur les villes moyennes où l’intégration fonctionne mieux que dans de grosses zones urbaines.
  • Repenser l’apprentissage de la langue française et mettre en place des formations professionnelles en s’inspirant du modèle allemand.
  • Assumer que la capacité d’accueil migratoire est un choix politique et non un seuil mesurable scientifiquement.
  • Cesser d’espérer qu’une solution vienne de l’Union européenne : les intérêts nationaux et culture d’accueil divergent trop pour que cela n’advienne.

Décryptage

Des bénéfices négligés du fait de crispations identitaires

Les pays d’émigration se plaignent de l’accaparement de leurs cerveaux et de leurs forces vives. En France, l’avantage comparatif obtenu grâce à cette main-d’œuvre est négligé du fait de crispations sur les questions identitaires. Les bénéfices objectifs de l’immigration entrent en concurrence avec une peur d’une « mauvaise » immigration. Cette tension teinte les politiques migratoires depuis le XIXe siècle : « Commence à s’implanter dès les années 1850 l’idée qu’il y a des populations plus ou moins assimilables, désirables, explique le démographe François Héran. Cette hiérarchie des origines a été très présente dans les politiques migratoires françaises. » Cela n'apparaît pas dans les textes de loi car des mécanismes républicains l’empêchent, mais cet esprit s’exprimait déjà dans les décrets d’application et les exposés des motifs à cette époque.

Une mise au grand jour de notre crise du travail

Les mécanismes d’intégration se sont grippés. Le marché du travail est en panne, et la disparition des emplois peu qualifiés dans les grandes entreprises a un impact notable. Au-delà de la dimension économique, ces emplois assuraient des dynamiques d’intégration fortes grâce aux syndicats et aux luttes sociales. Développer des pôles régionaux d’activité avec une petite ou moyenne industrie permettrait de relancer la machine à intégration. Pour l’heure, l’évolution du marché du travail invite à repenser la politique migratoire avec finesse : les problématiques diffèrent entre migrants qualifiés ou non, francophones ou non, bénéficiant ou non d’une communauté d’entraide en France. Pour Didier Leschi, directeur de l’OFII, cette diversité induit des défis distincts en termes d’intégration, mais il constate une volonté générale d’accéder à l’autonomie et au travail. Les fédérations patronales lui indiquent que les emplois boudés par les Français du fait d’un dur labeur et d’une faible rémunération - la boulangerie par exemple - sont saisis avec enthousiasme par les migrants.

Les discriminations freinent l’intégration

De grandes enquêtes ont mesuré avec des protocoles extrêmement rigoureux l’islamophobie et les discriminations ethno-raciales. Celles-ci concluent qu’elles frappent les personnes d’origine étrangères sur plusieurs générations. À compétences, diplôme et âge égal, les probabilités d’obtenir un entretien d’embauche peuvent être divisées par deux ou par trois en fonction du patronyme, du phénotype, et de la religion supposée : « si Michel Haddad s’appelle Mohamed Haddad, ses chances sont divisées par trois » explique François Héran, soulignant qu’il s’agit d’un obstacle essentiel à l’intégration. Pour lui, en France, on n’avance pas sur ce sujet car les discriminations sont encore comprises comme des persécutions volontaires. En réalité, pour l’immense majorité, les discriminations sont passives et indirectes : des pratiques neutres en apparence, mais qui conduisent à traiter défavorablement une personne.

Un problème de distribution géographique

La concentration géographique de la misère est un autre frein à l’intégration, le logement social jouant ici un rôle cardinal. « Beaucoup de bailleurs aimeraient pratiquer la mixité sociale et faire en sorte qu’il n’y ait pas des cages d’escalier entières occupées par une même nationalité, explique François Héran, mais ils n’en ont pas le droit. C’est interdit. Notre République égalitaire pense qu’il suffit de proclamer l’idéal pour qu’il se réalise et s’oppose régulièrement à ce qu’on puisse mesurer l’écart entre l’idéal et la réalité. Les acteurs du logement social sont extrêmement démunis. » Résultat, des écoles avec 80 % d’enfants issus de l’immigration, ce qui ralentit encore l’intégration pour la génération suivante. Des recherches montrent que dans les villes moyennes, l’intégration se fait plus aisément que dans de grandes zones périurbaines. La théorie du contact s’avère : les populations réagissent bien lorsqu’elles cohabitent avec des migrants. Mais pour les questions de logement, l’État dépend des élus locaux qui ne sont pas tous très allants sur l’accueil des immigrés.

Un retard sur l’enseignement de la langue française

Pendant longtemps, la place de l’apprentissage de la langue française dans l’intégration a été sous-estimée. Didier Leschi explique que, d’une part, on faisait peu de cas des ouvriers et qu’on se souciait modérément qu’ils « lisent les consignes de sécurité » et que, d’autre part, la France est un peu en retard sur la question de la langue : « Dans les années 1990, les débats publics tournaient autour de savoir si on allait reconnaître ou non les langues régionales, et pas de décider si on donnait mille heures de français à un non-francophone émigrant en France. » Il suggère de rétablir le financement de cours de langue avant le départ, dans le pays d’origine, pour les personnes ayant droit au regroupement familial, mais aussi de s’inspirer de l’Allemagne, où les formations sont le fruit d’une collaboration entre organisations syndicales, patronales et gouvernement.

Le changement climatique ne déversera pas de flots de migrants en Europe

À ce jour, très peu de données attestent que les changements climatiques provoqueront des migrations internationales. D’après celles-ci, les changements climatiques alimentent l’exode rural et augmentent l’urbanisation. Les capitales urbanisées ont plus de conflits, conflits qui peuvent engendrer des migrations internationales. Pour François Héran « via deux ou trois autres variables, on peut établir une petite chaîne de causalité entre le changement climatique et les migrations internationales, mais ce n’est pas très, très solide. » Ce que la plupart des recherches montrent, c’est que les changements climatiques entraînent des déplacements de population au sein d’un même pays. Un assèchement des terres, une montée des eaux privent encore davantage de moyens les personnes qui voudraient migrer. Or, les nations qui émigrent le plus sont celles où il y a non seulement une aspiration à migrer, mais aussi les moyens de le faire. Ce n’est pas le cas de pays les plus touchés par les changements climatiques (moins de 1 % de la population du Niger vit par exemple hors de ses frontières). Ce sont les nations situées à mi-chemin de l’échelle du développement qui émigrent le plus : le Maghreb, la Géorgie, une partie des Balkans, l’Albanie, le Mexique, la Turquie, etc.

Combien de migrants la France est-elle capable d’accueillir ?

Il n’existe pas de mécanismes de migration simples, (les habitants des pays les plus touchés par les changements climatiques migreront vers les pays plus tempérés, des pays les plus pauvres vers les pays les plus riches, des pays avec un fort taux de natalité vers ceux moins féconds…). Pour le démographe François Héran « cette mécanique des pressions, ces métaphores du déversement du trop-plein, tout ça, ce sont des métaphores qui sont complètement démenties par les faits». Ces idées erronées nourrissent pourtant le débat public, participant à son « hystérisation ». Le démographe souligne par exemple qu’il n’y a pas de seuil objectif de migrants qu’un pays pourrait intégrer. Il s’agit d’un arbitrage politique. Prétendre le contraire, déguiser en « données » des idées reçues, tout en ignorant délibérément les résultats de la recherche scientifique, assure une dégradation de la situation.

La solution ne viendra pas de l’Europe

Le débat n’étant pas rationnel, les solutions rationnelles ne sont pas entendues. Le plan Juncker pour sortir de l’impasse du système Dublin et répartir les migrants entre pays européens n’a pas été appliqué. Plus largement, au sein de l’UE, on n’arrive pas à définir une politique collective du fait d’intérêts nationaux divergents, du manque de rationalité des débats, et de sensibilités à l’accueil variant selon l’Histoire de chaque pays. Pour Didier Leschi, il est illusoire de penser qu’une solution viendra de l’Europe. Certains pays européens font des tentatives humanistes, mais voyant que la solidarité des autres États n’est pas suffisante, ils se ravisent et finissent tous par « jouer individualiste ».

Des compétences migratoires transférées à la Libye

Des solutions sont bricolées « en attendant de trouver un accord ». Un « en attendant » qui s’éternise et devient la norme, générant une crise humanitaire en Méditerranée. La gestion des flux migratoires aux frontières de l’UE est externalisée vers la Turquie et la Libye, où les droits humains ne sont pas respectés. Et ce sont les migrants qui en paient le prix. Des associations comme SOS Méditerranée jouent un rôle de sentinelle, empêchant le grand public et l’UE d’ignorer l’impact de leurs (in)décisions. « En 2018, l’Europe a transféré la responsabilité de la coordination de la zone où se passent tous les naufrages aux Libyens. On est en pleine violation du droit maritime, puisque ces garde- côtes interceptent et ramènent les personnes en Libye, un pays qui n’est absolument pas un lieu sûr » explique Fabienne Lassalle, cofondatrice de SOS Méditerranée France. Elle précise que l’action de sauvetage en mer de son association rencontre des entraves politiques : perte de pavillon, navire bloqué pour raisons administratives, non-assignation de ports de débarquement pour empêcher que les personnes secourues n’atteignent les côtes européennes… Notre gestion des migrations crée la crise humanitaire - depuis 2014, on recense plus de 20000 personnes mortes en tentant de traverser la Méditerranée.

L’impact du COVID-19 sur les migrations

Didier Leschi, directeur de l’OFII, constate plusieurs tendances. D’une part, une remontée des demandes de regroupement familial : les conditions économiques se sont détériorées au Maghreb avec la chute du tourisme. D’autre part, une mise à l’arrêt de la restauration et des chantiers, secteurs traditionnels d’intégration de la main-d’œuvre, qui aura des effets sur plusieurs années. Enfin, la crise a mis en lumière le fait que le système hospitalier français repose sur une main-d’œuvre migrante : la France a fait venir des médecins de l’étranger, ce qui a été perçu comme une politique néocoloniale par les pays d’émigration. L’hôpital français ne fonctionnerait pas sans cette main-d’œuvre immigrée ou d’enfant d’immigrés, souvent en concurrence avec les enfants de Domiens.

3/4/2021