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2008-2020: Qu a-t-on appris des Crises Economiques et Financières ?
Abstract
2008-2020 : Qu'a-t-on appris des crises économiques et financières ? : rencontre du cycle "Agir en temps de crise - 4 Situations de Crise" organisée et animée par Séverine Mathieu, directrice d’études à l’EPHE-PSL, et Saadi Lahlou, directeur de l’IEA de Paris

La crise dite des subprimes en 2008 a révélé la fragilité persistante du système financier mondial. Elle a fait craindre des faillites de banques en chaîne et un effondrement économique global. Face à cette situation, des instruments inédits ont été mis en place dans l’urgence par les États. Des projets de réforme d’ampleur des systèmes de régulation financière ont alors vu le jour.

Aujourd'hui, peut-on pour autant avoir l’assurance d'avoir tiré toutes les leçons de la crise ?

Qu'il s'agisse de la pandémie de Covid depuis 2020 ou de l'actualité brûlante de la crise générée par la guerre en Ukraine, on sait à quel point les équilibres économiques et financiers régionaux et mondiaux demeurent précaires. Disposons-nous depuis 2008 d’instruments permettant de faire face aux dérèglements actuels ? Sommes-nous capables d’agir dans l’urgence sans pour autant tomber dans la précipitation et l’improvisation ?

Ces questions seront évoquées depuis trois points de vue complémentaires, de praticiens et de chercheurs : la finance publique, l’entreprise privée, et l’histoire des politiques monétaires et des systèmes financiers.

2008-2020 : QU’A-T-ON APPRIS DES CRISES ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES ?

Synthèse de la rencontre

Les temps forts de la rencontre

« Ce qui pose problème aujourd’hui, c’est la capacité à hiérarchiser les crises. L’urgence crée un aveuglement : chaque crise change l’importance des choses et nous empêche d’avoir un ordre de priorité sur les mesures politiques à prendre. » Eric Monnet

« Face à l’urgence, nous réunissons l’ensemble des cadres pour penser collectif [...] et nous instituons une réunion de crise tous les jours. [...] Quand les baromètres habituels ne fonctionnent plus, que les éléments chiffrés et les tableaux de bord n’ont plus grand intérêt, on laisse émerger le bon sens, cette loi de l’expérience commune qui nous permet de nous comporter et de nous dire que nous avons confiance les uns dans les autres, et que nous avons confiance en nous-mêmes. » Elizabeth Ducottet

« En 2008, la finance est une des causes de la crise. En 2020, elle fait partie de la solution. En 2022, elle devient une arme avec les sanctions financières. » Marc-Olivier Strauss-Kahn

Qu'a-t-on appris de cette crise ?

Constamment en crise, et alors ?

Les systèmes économiques sont habitués à la répétition des crises, il y en a eu tout au long du XXe siècle. Ce n’est pas forcément inquiétant. En Europe, on parle de crise mondiale pour 2008, mais sur d’autres continents, elle est qualifiée de « crise nord-atlantique ». La véritable question est de savoir si une série de crises contribue à un basculement. Or, celles qui ont lieu depuis 15 ans semblent être de celles-là. Elles participent à une transformation profonde du modèle de mondialisation.

Le paradoxe de la bonne gestion de crise

Si une crise est bien gérée par un gouvernement, ce dernier n’en retire pas nécessairement de bénéfices politiques. Plus la gestion est bonne, plus on se dit que c’était facile. De surcroît, si des mesures sont prises pour prévenir une crise similaire et qu’elles fonctionnent, cela passe inaperçu, car on ne perçoit plus les éléments dont on bénéficie. Aujourd’hui, en France, si nous n’avions pas l’euro, les taux d’intérêt se seraient envolés (ils le faisaient à chaque crise dans les années 70). On voit ce qui ne fonctionne pas, mais pas ce qui fonctionne. Or une autre crise, différente, émergera nécessairement. Cela crée une fatigue des réformes.

Un retour de l’interventionnisme depuis 2008, mais lequel ?

Un État qui intervient massivement et triple sa dette publique peut donner l’illusion d’avoir une politique plus sociale, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Cette confusion nait du contraste avec la position libérale prépondérante depuis le milieu des années 1980 de l’État comme simple régulateur.

Mais comment et à quoi l’argent est-il alloué? Les arbitrages sont souvent une ligne de crête et la résurgence de l’interventionnisme rend nécessaire de répondre à une série de questions essentielles : Pourquoi des milliards peuvent-ils être dépensés en quelques jours pour certains secteurs et pas pour d’autres ? Comment discuter de cette allocation ? Quels organes peuvent servir pour que les citoyens s’expriment ? Est-ce qu’une démocratie parlementaire suffit ? Comment s’assurer que des scénarios alternatifs sont pris en compte? Quel contrôle des dépenses publiques ? Comment financer la dette publique ?

La qualité de la gestion de la crise dépend de la solidité de trois socles

Dans beaucoup de pays émergents, c’est la solidité de l’administration (sa fiabilité, sa capacité à mettre en place des politiques) et le socle financier qui manquent pour mettre en place des outils en temps de crise. En occident, ces deux premiers socles sont souvent solides, mais un troisième est encore parfois vacillant : le socle intellectuel. Il est fait de repères qui guident les décisions lorsque les indicateurs habituels sont inopérants. Ce socle a manqué dans les années 30 pour répondre à la première grande dépression, mais aussi en 2010 lorsque l’UE a imposé des mesures à la Grèce en sous-estimant leur contre-coup dans une zone d’intégration très forte. Les États n’apprécient pas toujours correctement où sont leurs intérêts, ne saisissant pas pleinement lorsque les crises des autres peuvent leur porter préjudice. Le socle intellectuel sur la question de l’interdépendance s’est énormément renforcé ces 10 dernières années, mais il peut encore être renforcé. Plus ces socles sont solides, plus on pourra faire face aux crises.

Le moins mauvais des systèmes ?

Les mécanismes de marché souffrent de nombreuses maladies : ils sont myopes, amnésiques et ont une tendance à l’addiction (dépendants des interventions de l’État ou des banques centrales). Ils sur réagissent et lorsqu’on essaie de les calmer avec des taux d’intérêt très bas, cela génère une forme d’anesthésie : ils ne voient plus la réalité. Il faut donc perfectionner les mécanismes de régulations en place pour prévenir l’émergence de nouvelles crises et diminuer leur ampleur.

L’urgence crée un aveuglement au moyen terme

Dans les années 30, les gouvernements se félicitaient d’être sortis de la grande dépression et n’ont pas vu arriver ce qui, rétrospectivement, nous semble évident. Aujourd’hui, notre aveuglement est également fort... Il y a une incapacité à envisager la crise climatique, cette crise à venir qui sera d’une amplitude sans précédent. Chaque crise change l’importance des choses et nous empêche d’avoir un ordre de priorité sur les mesures politiques à prendre. Elle affaiblit la capacité à hiérarchiser.

Il faut célébrer notre résilience

Les entreprises qui ont survécu ont beaucoup appris. Elles ont notamment acquis un sentiment de résilience et de confiance en leur capacité à résister aux crises. En interne, certaines célèbrent cette capacité à faire face aux turbulences, pour renforcer leur collectif. Nous devrions nous en inspirer, célébrer notre résilience comme société pour nourrir la confiance en notre intelligence collective. La confiance sera un élément clé pour mieux gérer les crises à venir (coordination et mise en action). Pour ne pas égratigner cette confiance, s’assurer de la cohérence entre les actions et les paroles est également essentiel. En temps de crise, dire la vérité le plus vite possible est primordial.

4/14/2022