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Crise sanitaire - COVID-19 : quelles leçons de la crise sanitaire ?
Abstract
COVID-19 : quelles leçons de la crise sanitaire ? : Rencontre du cycle "Agir en temps de crise - Les grandes crises contemporaines" organisée et animée par Séverine Mathieu, directrice d’études à l’EPHE-PSL, et Saadi Lahlou, directeur de l’IEA de Paris.

L’épidémie de COVID-19 frappa le monde entier en 2020. Un an après, la première rencontre du cycle Agir en temps de crise revient sur l’onde de choc de la crise sanitaire et propose aux chercheurs.ses et acteurs.rices de terrain de confronter leurs analyses et livrer leurs expériences de l’action en temps de crise.

Agir en temps de crise - Covid-19 : quelles leçons de la crise sanitaire ?

Enseignements et pistes d'action

  • Cette crise est un échec de la démocratie sanitaire : la voix des non-soignants a disparu. Des comités citoyens doivent être mis en place en s’inspirant d’initiatives locales.
  • La collégialité n’est pas synonyme d’éthique. L’important est la pluralité des représentations : il faut des SHS dans les réflexions médico-sanitaires.
  • Plus les outils de démocratie sanitaire ou les cellules éthiques seront stables en temps normal, plus ils seront fonctionnels en temps de crise.
  • Les médecins ont dû arbitrer entre ce qu’ils devaient à leurs patients (soigner) et à la collectivité (prioriser les patients). Ils devraient être guidés par des recommandations extérieures dans ce conflit éthique.
  • Pour lutter contre les inégalités sociales face au COVID-19, c’est sur les facteurs d’exposition qu’il faut se concentrer. C’est là que les inégalités se jouent, et non sur la prise en charge
  • Des données ethno-raciales sont indispensables pour construire une politique sanitaire et mesurer son efficacité
  • Un risque majeur de la gestion de cette crise qui frappe inégalement personnes jeune et âgées est de menacer la solidarité intergénérationnelle.

Décryptage

Science et politique française : friction des cultures

« Quand on explique, début mars 2020, qu’il n’y aura pas de résultats de grands essais thérapeutiques avant juillet ou septembre dans le meilleur des cas, le politique, il vous regarde avec des yeux ronds » raconte Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique COVID-19. La notion du temps n’est pas la même et, pour un scientifique, il est difficile de s’exprimer sur des résultats en cours. Mais des décisions doivent être prises lors d’une pandémie : ce savoir en construction parait le moindre mal pour éclairer les politiques. C’est une ligne de crête complexe.

Comme l’explique Jean-François Delfraissy, il a fallu faire des paris à partir de résultats préliminaires, du ruissellement d’informations venant de la communauté scientifique internationale : « certaines décisions étaient infondées d’un point de vue scientifique. On le sait maintenant, mais c’est normal. Les données mettent du temps, il y a une évolution des connaissances ».

Cette incertitude et la temporalité propres à la science sont difficiles à accepter pour les citoyens et les politiques, surtout en temps de crise. En Allemagne, la majorité du personnel politique et de la haute administration est passée par une thèse. Ce n’est pas le cas en France, où les gens sont formés à être agiles, à « savoir » mais pour qui la notion du doute, inhérente à la science, n’est pas évidente - d’après ce qu’a observé Jean-François Delfraissy. Selon lui, l’évaluation de l’impact des mesures n’est, par ailleurs, pas encore ancré dans la culture politique française. Comment alors marier politique et science ?

Le point cardinal est l’indépendance des chercheurs. Pour un comité conseillant un gouvernement, trois dimensions sont indispensables : qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt, que le comité puisse s’auto-saisir de sujets et que les avis rendus soient publics.

Des statistiques ethno-raciales nécessaires ?

Des données sont collectées sur la mortalité COVID-19 par origine et par profession au Royaume-Uni. L’approche intersectionnelle éclaire la façon dont les inégalités sociales se construisent : recueillir ces données permet d’objectiver une situation. C’est indispensable pour travailler et pour mesurer l’efficacité des politiques. Mais en France, il y a un rejet politico-culturel de ces données.

« Il y a une réticence très forte des opérateurs de la statistique publique, qui disent qu’on n’a pas besoin de connaître l’origine des personnes, qu’il suffit de savoir si elles sont ou non immigrées » souligne Nathalie Bajos, directrice de recherche à l’INSERM « mais avoir des parents nés en Nouvelle-Zélande ou au Congo, ça n’a rien à voir. Une immigration de première, seconde ou troisième génération, c’est aussi une énorme variante à caractériser.»

Jusqu’aux années 1980, le même problème s’est posé en France pour les questions de genre : beaucoup s’opposaient à ce qu’on produise des statistiques sexuées pour objectiver les différences et ainsi être en mesure de les comprendre.

Des inégalités sociales liées à une surexposition au virus

Dans tous les pays qui disposent des données, on constate la surmortalité des hommes et des personnes dites racisées. Les inégalités se nichent très fortement au niveau d’une exposition différentielle aux facteurs de risque : le fait de vivre dans un logement surpeuplé, dans une région de forte densité, d’avoir un emploi qui ne permet pas le télétravail en cas de confinement, d’utiliser les transports en commun, etc. Une surmortalité drastique a été observée en Seine–Saint-Denis.

Les différences de mortalité selon l’origine viennent principalement de cette surexposition aux facteurs de risque. Elle touche surtout les personnes CSP- et/ou racisées (noires et hispaniques aux USA, issues de l’immigration d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne en France). Dans l’accès aux soins et de la prise en charge, les inégalités sociales habituellement en faveur des classes les plus favorisées ne sont pas reproduites pour le COVID-19. Une des hypothèses est que faute de spécialistes, les malades se tournent directement vers l’hôpital ou vers les médecins généralistes.

C’est généralement dans l’accès aux spécialistes que les inégalités résident.

Collégial n’est pas synonyme d’éthique

Beaucoup de cellules d’éthique ont été mises en place et vont se pérenniser. Elles ont été peu utilisées : la plupart se limitent à une réflexion collégiale. Or, se réunir à plusieurs ne garantit pas un résultat éthique. La composition du groupe oriente les conclusions. « J’ai vécu deux débats sur l’accès à la réanimation des personnes âgées, raconte Nicolas Fourreur, un avec des médecins et un avec des citoyens des sciences humaines et sociales : ça n’a rien à voir. Penser la question en termes d’égalité en nombre d’années vécues par rapport aux jeunes est par exemple inimaginable pour des médecins. Pour eux, l’enjeu est de déterminer si les personnes âgées ont autant de chance que les autres de s’en sortir en réanimation. Ils restent sur un débat très médical. On avait ce conflit dans nos saisines, entre des médecins très inquiets de la contamination, et d’autres personnes, directeurs d’EHPAD par exemple qui disaient : “Quand même, il y a des limites, peut-être… On ne peut pas entraver physiquement les gens qui déambulent… Interdire toutes les visites alors que les proches montent sur les murs pour faire des coucous à distance pour voir leur famille…”

Le traitement est différent selon les disciplines scientifiques. Une variété d’approches est fondamentale pour comprendre et interroger toute situation, a fortiori en temps de crise.

Pourquoi la démocratie sanitaire n’a-t-elle pas été au rendez-vous ?

Le politique est déjà investi dans un système complexe d’aide à la décision, et il y a eu un effet de sidération massif du pays au printemps 2020. Mais pour Jean-François Delfraissy, cet échec de la démocratie sanitaire est difficilement compréhensible : depuis ce choc, il y a eu beaucoup de temps. La parole des patients, de leurs proches, des non-soignants a disparu. Avec le VIH, on avait su construire une démocratie. Peut-être manque-t-il ici le ressort militant associatif, ou la congruence entre l’enjeu sanitaire et l’enjeu sociopolitique d’une catégorie de personnes plus touchées ? Sur de nombreux sujets non médicaux, le président du conseil scientifique est formel : plus de démocratie aurait été possible.

Les associations de parents d’élèves ont été assez peu associées à la question de la réouverture des écoles. Idem pour les familles dans les EHPAD. Les syndicats ont eu peur de créer de la polémique. C’est un échec au niveau national. L’épidémie n’est pas terminée, nous sommes dans une course de vitesse entre variants et vaccin. Il faut construire des réflexions intégrant toutes les parties prenantes en s’inspirant d’initiatives locales (Grenoble, Lyon, Nantes et Paris ont monté des comités citoyens, ou citoyens/scientifiques).

L’émergence de tensions intergénérationnelles

On a demandé aux jeunes de se sacrifier pour les personnes plus âgées. Ils paient très fortement le prix de cette prévention (études, stage, accès à un premier emploi, lieux de sociabilité fermés, santé mentale, sexualité). Cette problématique intergénérationnelle est un dilemme éthique. Des tensions apparaissent, un dialogue avec la société civile et avec d’autres disciplines scientifiques est nécessaire pour éclairer les décisions politiques. Pour Jean-François Delfraissy « Les choix ont été sanitaires : on protège les plus anciens et on essaie de diminuer leur mortalité. Et on tâche d’éviter la circulation du virus chez les plus jeunes parce qu’il y a une porosité entre générations. Est-ce que cet objectif est encore tenable ? Il y a un dilemme éthique, fondamental. Privilégier, dans une certaine mesure, la population la plus âgée et la plus fragile au détriment d’une vie plus normale chez les plus jeunes […], est-ce encore tenable dans le temps ? Au comité scientifique, on pensait que non et que la seule solution, c’était le vaccin : vacciner les plus anciens pour les protéger et laisser vivre les plus jeunes. Et peut-être vacciner les plus jeunes si une innovation permet d’avoir un vaccin qui joue un rôle sur la transmission. La place du vaccin est fondamentale dans ce débat intergénérationnel. »

Bibliography
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1/20/2021